Vous avez été quelques-uns à nous interpeller sur Insta quand un compte que nous aimons bien a posté une étymologie du mot “thune”. “Les parenthèses élémentaires” est tenu par une “influenceuse linguistique” (déjà, en soi, c’est très sympathique) et a proposé plusieurs origines possibles au mot thune : 

“référence à la ville de Tunis, qui lui confère grandeur et prestance. Le mot “thune” pourrait aussi être un dérivé du latin “tutor” : se protéger ou être protégé. Il pourrait ainsi désigner l’aumône”. 

Mais il se trouve que nous avions déjà creusé cette question, et nous ne résistons pas au plaisir de vous proposer une étymologie plus fleurie (mais tout à fait documentée et sérieuse) qui n’est pas forcément contradictoire avec celles précédemment énoncées.

Découvrez « le roi de thune »

En effet, si la “thune” désignait déjà au XVIIIème siècle une pièce de 5 francs ou de cent sous, peut-être en référence à l’aumône et/ou à la ville de Tunis, il se trouve qu’à cette époque, à Paris, il y avait du côté du quartier que l’on appelle aujourd’hui “Les Halles”, une cour des miracles. On peut encore d’ailleurs se balader par exemple “rue de la grande truanderie”, non loin de “la place des innocents”. Dans ce quartier mal famé se réunissaient  malandrins, mendiants, voleurs, et malfrats en tout genre, “un monde inconnu, inouïe, difforme”, écrivait Victor Hugo. Leur organisation très hiérarchique parodiait dans ses titres (barons, ducs, princes etc.) la Cour du roi, mais fonctionnait de façon bien plus démocratique en réalité. Par exemple, pour passer de mendiant à voleur, et bien avant de venir “prince des voleurs”, une des épreuves requises consistait à attirer l’attention d’un chalant en lui volant sa bourse et faisant exprès de se faire repérer, de façon à s’attirer les foudres des passants et à se faire bastonner à foison, permettant ainsi aux autres voleurs de faire les poches de la foule en furie. Tous les ans (ou tous les trois ans selon les sources) avait lieu l’élection du “grand coësre”, le chef des mendiants, élu par des Etats généraux de cette société discrète. Or un certain personnage aurait été ainsi désigné plusieurs fois : le fameux “roi de thunes”. Arborant un costume cousu d’or, mimant le carrosse du roi dans une parodie grotesque faite de cagette tirée par des chiens, il s’est hissé au rang de roi des “argotiers”, la communauté des mendiants, ancrant ce titre et son nom dans le langage courant. Tiens, d’ailleurs, vous savez pourquoi on appelait sa cour celle des “miracles” ? Parce que les belles personnes qui la composaient étaient connues pour être estropiées la journée lorsqu’elles mendiaient, et les mêmes pouvaient être vues tout à fait valides et bien portantes le soir venu. Un vrai “miracle”… !

Après la Révolution française, le Préfet de Paris a “nettoyé” tout ce quartier; le cimetière des Innocents qui était trop plein a été déplacé au Sud de Paris, et tout ce beau monde s’est perdu. Le mot de “thune” a perduré : il désignait jusqu’en 1910 le salaire journalier d’un ouvrier. “J’ai pas une thune” devient : je n’ai pas un plan boulot. 

En 2021, le mot a ressurgi grâce à un fabuleux podcast hebdomadaire disponible sur toutes les plateformes classiques, que je vous invite à écouter. Vous m’en direz des nouvelles ;^)